Douze activistes du climat viennent d’être considéré.e.s
« coupables de rien » après une action de blocage de la circulation
l’été dernier au pied du Canigou. Dans le département des
Pyrénées-orientales, tous les voyants sont au rouge, concernant la
bascule climatique en cours. Les autorités devront y réfléchir à deux
fois, si elles considèrent que la répression des lanceurs d’alerte
constitueraient leur première urgence.
Il régnait une ambiance assez lunaire sur
le Tribunal correctionnel de Perpignan, tôt le mardi 26 janvier 2023 au
matin. Une suite fastidieuse de renvois d’affaires était examinée. La
présidente de l’audience ne cachait guère que l’engorgement des services
judiciaires n’était pas pour rien dans pareille situation. Cela pouvait
aller jusqu’à des erreurs d’aiguillage de certains dossiers devant des
juridictions non compétentes ! Et il fallait l’expliquer à des
justiciables ne comprenant qu’à moitié des reports d’une année
supplémentaire dans le traitement d’affaires qui leur empoisonnent la
vie.
Alors est-il bien raisonnable d’encombrer
le fonctionnement de l’institution judiciaire par des dossiers
politiques de fait, mais grossièrement maquillées en infractions au code
de la route, avec pour seule visée l’intimidation et la répression de
militant.e.s du mouvement social ? Pareille
manœuvre aura fait “pschitt” de manière spectaculaire au cours de cette
même audience du mardi 16 janvier. Les médias roussillonnais ont
abondamment relayé la relaxe pure et simple de douze manifestant.e.s de l’urgence climatique, convoqués en jugement ce jour-là.
Le 29 juillet 2022, ces manifestant.e.s s’étaient retrouvé.e.s
une trentaine sur une route départementale du Conflent, tout près de la
sous-préfecture de Prades, au pied du Canigou. Deux ballots de paille
avaient été déposés en travers de la chaussée, alors même que toutes les
huiles du secteur, dont le sous-préfet en personne, se rendaient au
concert d’ouverture du prestigieux festival de musique classique qui
honore la mémoire de Pau Casals, célèbre violoncelliste catalan
(anti-franquiste en son temps réfugié à Prades). Retransmis en direct
sur France-Musique, le concert connut ce soir-là un retard de près d’une
heure, durée de la suspension de circulation, dans une ambiance au
demeurant bon enfant.
Les manifestant.e.s avaient voulu donner un éclat médiatique à leur dénonciation de la bétonisation
à outrance de cette micro-région de la Catalogne nord. Les lotissements
immobiliers y anéantissent inexorablement des terrains de très bonne
terre agricole parfaitement irrigués, dans un secteur où l’arboriculture
bat de l’aile, et le maraîchage et l’élevage de moyenne montagne
restent fragiles. Aux portes du tribunal ce 16 janvier, la Confédération
paysanne est venue rappeler que « l’artificialisation des terres est un acte irréversible
». Et à l’appropriation spéculative du foncier, elle a opposé
l’approche qu’elle appelle de ses vœux, qui voudrait que l’activité
agricole, nourricière et protectrice de l’environnement, soit ramenée
dans le ressort des biens communs.
Les coïncidences font parfois bien les
choses. La veille même du procès, le journal local L’Indépendant
consacrait son grand titre de « Une » à une étude qui conclut qu’en
2021, première année de rendu public de pareilles données, « le nombre d’hectares de terres vierges urbanisées [dans le département des Pyrénées-orientales] a
dépassé de 68 % la trajectoire que fixe la Loi climat en matière de
diminution de l’artificialisation d’espaces naturels sur la période
2021-2031 ».
Mais que font donc les autorités, les
décideurs politiques, face à un fiasco si alarmant ? Depuis plus de deux
ans, ce département fait face à un niveau de sécheresse absolue, jamais
connu, compromettant même l’alimentation en eau potable de certaines
communes ; sans parler d’une catastrophe pour le système d’irrigation
agricole. En cette mi-janvier, depuis Prades, on contemple un Pic du
Canigou qui frise les 2 800 mètres d’altitude, mais reste obstinément à
peine blanchi par une mince couche de neige, façon sucre-glace. Les
stations de sports d’hiver continuent pourtant de prétendre que la
pratique du ski demeure leur axe premier d’activité dans l’avenir !
« Nous sommes des citoyens
parfaitement responsables, lanceurs d’alerte qui tentons de faire
appliquer dans les faits une loi dûment adoptée, la loi climat ; cela
pendant que se poursuivent les politiques qui la contredisent du tout au
tout », ont expliqué les prévenu.e.s du 16
janvier, en conférence de presse. Ils estiment que les P.O. sont « un
laboratoire d’un changement climatique accéléré », mais aussi « un laboratoire de tout ce qu’il ne faudrait pas faire pour s’adapter à cette situation
». Un projet de golf (!) à Villeneuve-de-la-Raho (où le lac est à sec),
un viaduc à Céret, une extension portuaire de plaisance à
Argelès-sur-Mer, un troisième quai destructeur du site à Port-Vendres,
un Schéma de cohérence territoriale (SCoT) prévoyant 35 000 logements
supplémentaires sur la plaine du Roussillon, une nouvelle grande
déviation sur la 116 (l’axe routier principal qui innerve le
département).
Une logique inentamée de bétonisation, de
grands projets perturbateurs du vivant, sont imperturbablement dans les
tuyaux des projets d’aménagement que promeuvent des élus. Eux
cultivent, depuis des décennies, la reconversion à l’immobilier
résidentiel et touristique d’un capital foncier dont le versant agricole
tourne à la friche. Et la présidente du Conseil départemental,
Hermeline Malherbe (PS), se plaint d’avoir affaire à des « éco-extrémistes », pas loin de rejoindre un Gérald Darmanin sur ces thèmes. Ses termes.
Les manifestant.e.s du 29 juillet incriminé.e.s
s’étaient d’abord vu infliger l’obligation de suivre un stage (payant
!) de citoyenneté. Ils l’ont rejeté, perçu comme insultant, quant à ce
qu’ils estiment être leur haut degré d’implication citoyenne. Ils
voulaient un jugement sur le fond. « Nous avons avancé
collectivement, élaboré notre dossier, malgré la fragilisation de
certains d’entre nous. Voilà un modèle stratégique de mobilisation », a-t-on entendu exprimer en conférence de presse.
Hélas, ce jugement sur le fond n’a pas pu
se produire. Leur avocat a d’abord argué de vices de forme. Il a fait
mouche. Confondant leur mission de police judiciaire et d’agents du
maintien de l’ordre, c’est de manière abusive que les gendarmes ont
conduit sur place leurs contrôles d’identité, a-t-il été estimé. Ce seul
point suffit à entraîner, comme château de cartes, la nullité de
l’intégralité de la procédure. « Vous n’êtes donc coupables de rien », a estimé la juge en direction des douze prévenu.e.s, relaxé.e.s.
Mais elle a suggéré aussi, de manière assez inattendue, que s’il avait
fallu aller plus avant dans le jugement du dossier, elle doutait fort
qu’elle ait pu retenir comme valide l’incrimination avancée d’entrave à
la circulation, relevant du seul code de la route.
Même purement procédurière, la victoire
militante n’est pas mince. Les autorités, dont le sous-préfet retardé en
personne au moment de se rendre au concert, ont voulu s’engager dans la
seule voie répressive, en aucun cas dans le débat politique, sous une
incrimination prétexte face aux “perturbateurs de l’ordre (destructeur)
établi”. Fort bien. Le fait est que cette voie est si spécieuse que même
la gendarmerie sous leurs ordres s’est révélée incapable de la faire
fonctionner efficacement.
Gérard Mayen